Propos tenus sur le film

Les propos suivants ont été tenus par les deux protagonistes du film Peur sur la ville, à savoir son réalisateur Henri Verneuil et son acteur principal Jean-Paul Belmondo. Tous deux évoquent le tournage de scènes physiques et marquantes du film et l'état d'esprit dans lequel ils étaient lors de leur exécution.

H. Verneuil Dans Peur sur la Ville, Belmondo qui descend de l'hélicoptère au bout d'un filin, j'allais dire c'est simple pour l'acteur, c'est simple pour Belmondo. Belmondo est un athlète, il ne sait pas ce que c'est le vertige, il ne se fait jamais doubler, il interprète toujours les rôles jusqu'au bout. A partir de ce moment là, vous vous dîtes : "le metteur en scène n'a plus de problème". Eh bien oui, il a des problèmes.
Nous sommes au milieu donc de la Seine, de toutes ces constructions et de toutes ces tours que vous connaissez. Alors ce que le public ne sait jamais, c'est quels sont les problèmes qu'un cinéaste va rencontrer au moment où il va tourner cette séquence. Si vous mettez la caméra sur le sol, ce sol appartient à une société de promoteurs qui n'a rien à voir avec les immeubles. Il faut donc l'autorisation de cette société de promoteurs.
Quand vous avez l'autorisation de cette société de promoteurs pour mettre la caméra sur le sol, vous avez une caméra en haut au dernier étage de l'immeuble. Il faut demander l'autorisation aux copropriétaires, ils sont 750 dans l'immeuble. S'il y en a un qui dit : "de votre cinéma je n'en ai rien à foutre, moi je dis non", vous n'avez pas le droit de faire.
Quand vous avez l'autorisation de ces 750 locataires pour mettre la caméra là-haut, pour que l'hélicoptère arrive sur les lieux, vous devez avoir l'autorisation de trois ministères, dont le Ministère de la Guerre, le Ministère de l'intérieur, la Police Nationale, la Police Urbaine, la Police de l'air. Quand vous avez toutes ces autorisations, on vous dit : "D'accord, mais alors je ne veux personne dans l'immeuble des 750 copropriétaires, sans ça, je vous interdis l'arrivée de l'hélicoptère sur cet immeuble". Comment demander à 750 locataires, le jour où Monsieur VERNEUIL va tourner avec Monsieur BELMONDO : "Voulez-vous être gentil de tout évacuer et de quitter votre appartement ?", ce n'est pas possible.
Il fallait donc trouver une tour composée de bureaux et tourner le samedi parce que le samedi, il n'y a personne dans les bureaux. Et à ce moment-là, la Gendarmerie Nationale qui vous fournit l'hélicoptère et le pilote vous dit : "J'ai besoin d'un terrain à côté pour l'atterrissage forcé si jamais il y a un accident". Vous trouvez le terrain. A ce moment là le pilote vous dit : "Monsieur, si le vent souffle à plus de 7, je ne fais pas descendre le long de ce filin Monsieur BELMONDO". Nous sommes au mois de janvier. Le vent est à 12, 14 et 15. Nous avions donc installé un appareil en haut de l'immeuble pour savoir chaque jour à combien était le vent. Et puis le chiffre que ça vous indique le soir, personne ne vous dit que le lendemain matin, vous allez retrouver ce chiffre. Or le service pour tourner cette séquence le samedi, il faut le lancer la veille, ce n'est pas le jour même que vous devez le dire. C'est 30 millions que vous tourniez et que vous ne tourniez pas, c'est-à-dire ce petit appareil un jour à ce moment-là vous donne 10, la production a perdu 30 millions, vous ne pouvez pas tourner.
Alors quand tout ça est réuni, vous voyez que le filin descend, mais il ne vous fait pas descendre plus de 7 mètres, ce qui fait que BELMONDO n'arrivera jamais à la hauteur de la fenêtre. Il fallu donc prendre le même filin, construire une grue au sommet de l'immeuble et avec le même filin, continuer la descente de BELMONDO pour que le spectateur ait l'impression qu'il descend de l'hélicoptère. Le début de la descente est de l'hélicoptère, la suite de la descente est par une grue le long de la façade de l'immeuble.
Et tout ça pour une séquence d'une minute 30 secondes et le spectateur voit en effet l'hélicoptère qui arrive et Monsieur BELMONDO, le long d'un filin, qui descend.

 
JP. Belmondo J'aime çà, j'ai toujours eu le goût de la cascade ; Dès que j'étais jeune, j'aimais çà, j'ai toujours aimé le cirque, j'aimais toujours faire des culbutes et en plus je pense que dans ce genre de film il ne faut pas le faire si on ne fait pas les cascades soi-même. Les gens ont besoin de ressentir que c'est (je ne parle pas de l'acteur forcément) le héros qui est vraiment là parce que si brusquement vous descendez sous un hélicoptère et que c'est un petit point qui descend, après vous êtes sur des toits et c'est un autre petit point, je crois que le spectateur perd le fil. Moi je sais qu'en tant que spectateur, j'aime bien suivre et voir que c'est l'acteur qui est là.

 
H. Verneuil Vous savez, il y a un moment extrêmement grave quand vous allez dire "moteur" et "partez" et que vous voyez tous ces engins qui sont lancés. Bien entendu, tous les risques sont calculés car tout a été d'abord à 10 à l'heure essayé, puis à 15, puis à 20, puis à 30, puis à 40 et c'est quand BELMONDO lui-même a senti son équilibre au-dessus de ce métro que nous allons jusqu'à 70 à l'heure, bon ! Nous sommes prêts, bien entendu, à couper le courant à tout instant. Mais il y a quand même de grands moments de suspens, pas seulement pour le spectateur après, mais pour nous pendant le tournage car un malaise peut toujours arriver à quelqu'un et à ce moment-là, c'est la catastrophe.
Quand il est sur le métro, je me souviendrai toujours, il y avait 5000 personnes en bas qui regardaient le tournage. Quand il a fini, il a sauté, il a fini le plan. Toute la foule a applaudi et il y a même une voix qui a dit : "Bravo Bébel, même pour 100 briques je n'aurai pas fait ça" et Jean-Paul l'a regardé et il a dit "Moi non plus !".

 
JP. Belmondo Mais vous savez le petit pincement de la peur, on l'a toujours, moi je l'ai toujours eu même quand j'avais 20 ans parce qu'on a toujours la sensation du danger. Si on ne l'a pas, c'est un petit peu grave, c'est le pincement qu'on a, à même titre, quand on rentre sur une scène de théâtre, c'est un pincement agréable d'ailleurs.
De toute façon dans la vie, je me sens très en forme. Le jour où je ne me sentirai plus en forme, je ne ferai pas ce genre de film. C'est un peu comme les clowns, souvent ils ont été acrobates en haut et quand ils n'ont plus la force, ils sont descendus au tapis faire les comiques, moi je ferai pareil.

 
H. Verneuil Très longtemps j'ai trouvé anormal, je parle encore d'il y a quand même 10 ans, 15 ans, j'ai trouvé anormal que dès qu'ils avaient un film un peu difficile, solide, d'action ou de… à faire, on venait me voir en disant : "tu es le seul". Je disais "qu'est-ce que c'est ce pays où moi à mon âge je serais le seul ?". Il devrait y avoir 50 VERNEUIL qui sont capables de faire çà. Aujourd'hui, je ne suis plus du tout le seul. Ah oui, il y a un réveil formidable, il y a des metteurs en scène formidables.

 


Dernière modification de la page : 09/12/2006 | Réalisation : Frédéric et Christophe GILLES | Contact : chgilles@free.fr